La Roche Ecrite

La Roche Ecrite

JACQUELINE DURAND, IN MEMORIAM

Chère Jacqueline,

Longtemps, je t'ai appelée madame Durand et je t'ai vouvoyée. Cela a duré vingt ans, de 1974 à 1994. Tu étais l'infirmière du lycée Verlaine, à Rethel, où j'étais jeune professeur d'histoire-géographie.

Je te vois encore avec ta blouse blanche, au premier étage du bâtiment de la grande cour, silhouette un peu frêle et pourtant attentive et efficace, toujours disponible pour soulager les petits et parfois les grands maux des élèves - ceux du corps et ceux de l'âme.

Il t'arrivait aussi d'avoir à soulager mes migraines et je me souviens que, si la crise était violente, tu m'invitais à m'allonger un peu sur un lit de l'infirmerie.

Une sorte de complicité naquit alors entre nous, d'autant plus précieuse que tu regrettais souvent le peu de contact qui existait entre les enseignants et les autres personnels du lycée.

Cet air un peu fragile que tu avais alors, tu l'a gardé toute ta vie. Il faisait partie de ton charme, de même que tes sourires évanescents et tes petites réparties à l'emporte-pièce qui, sans en avoir l'air, remettaient les choses et les gens à leur place.

Une quinzaine d'années passèrent. Les circonstances m'obligèrent à venir me réinstaller à Barby pour ma retraite. Presque chaque jour, au départ de mes petites promenades ou de mes circuits de marche nordique, je passais devant chez toi. Et si je ne te voyais pas au départ, je te voyais au retour. On se parla de plus en plus. Des liens plus étroits que ceux du lycée s'établirent entre nous. Et tu devins cette fois une vraie amie, de même que Noël, ton mari, dans le cadre de votre belle propriété barbyonne, avec la musique de fond du vent dans les peupliers.

C'est alors qu'enfin, je me mis à te tutoyer et à t'appeler Jacqueline.

L'hiver, c'était le café au coin de la table de la cuisine. L'été, le rosé frais sur la terrasse. " La belle vie " dirons-nous, pour parler comme ceux qui n'ont pas souci d'éloquence.

On te savait gravement malade. Comme les mots ne t'ont jamais fait peur, tu désignais sans tabou l'arme que le destin utilisait contre toi. Tu n'éludais rien.

Mais après chaque assaut de la maladie, tu rebondissais dans la vie. Tu étais une lampe fragile, mais une lampe tenace que le vent glacé n'éteignait pas. Comme toujours, ta fragilité était ta force. Noël, qui t'entourait d'un dévouement sans limite, semblait souvent plus inquiet que toi. Et tu le savais. Et tu me le disais.

Tu épluchais les carottes, tu dénoyautais les prunes, tu lavais la salade. Donc tu vivais. Tu aimais les saisons. Elles étaient le manège où, avec ta famille et tes amis, tu tournais, mois après mois, année après année.

Et puis soudain, le destin s'emballe. A nouveau Godinot. A nouveau la chimio. Samedi dernier, 25 juillet, je suis en Ardèche. Je visite l'abbaye de Mazan. Vers quinze heures, mon portable sonne. Mon épouse m'apprend que pour toi le manège de la vie a cessé de tourner. Stupeur sous le soleil méridional. Dieu, je n'y crois pas. Mais les rites, je les aime parce qu'ils apaisent le vertige du vide. Je rentre à l'église. J'allume un cierge. Il est la lumière que tu fus.

Depuis un an ou deux, je remarquais que tu avais placé sur la cheminée de ton salon, bien en évidence, la photo du pape François. La foi, pour ceux qui l'ont, n'est pas une croyance. C'est une confiance. Je le dis dans cette église, devant ton cercueil, en ton nom. Je n'en dirai pas plus car, sur cette question, tu ne m'en as pas dit plus.

Je ne te dis pas adieu. Je ne te dis pas " repose en paix ". Ces mots, pour moi, ne signifient rien.

Un verset bouddhiste dit : " L'homme est l'âme de l'univers et l'univers est infini."

A nous, Jacqueline, de récolter ce que tu as semé.

A nous de suivre l'empreinte de tes pas, avec l'âme fervente qui fut la tienne, dans l'univers infini.

                                                                                                                                                                Guy Féquant, église de Barby, jeudi 30 juillet 2015.

 

 



07/09/2015
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